La tyrannie du Progrès, "machine à engendrer des croyants puis des
désespérés", a été maintes fois dénoncée comme une utopie néfaste
(voire catastrophique), et c'est tant mieux. Mais dénoncer le Progrès
ne doit pas nous entraîner vers une bien-pensance hypocrite qui nous
verrait condamner a priori des progrès enregistrés dans tous les
domaines techniques, quand l'homme des temps contemporains en jouit
chaque jour. A partir d'une approche philosophique serrée (Francis
Bacon, Henri Bergson, Gilbert Simondon...), l'auteur montre que le
progrès est proprement vide de sens et qu'il ne tient qu'à l'humanité
de le charger de valeur, c'est-à-dire à chaque individu de s'en
constituer une conscience propre : tel est l'exigence avancée ici par
l'auteur, qui l'illustre par la perception singulière qu'en ont
restitué certains auteurs de fiction (Defoe, Baudelaire, Rimbaud,
Reverdy...).
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" Est-il, pour moi, lieu plus épargné, abri plus sûr, retraite plus
paisible, qu'un studio d'enregistrement ? Enfermé de toutes parts,
encapitonné, assis devant le seul micro, à voix haute - sans effort de
projection, dans le médium -, deux ou trois heures durant, je lis les
pages d'un livre.
Le monde est alors celui de ce livre. Le monde est dans le livre. Le
monde est le livre. Les vivants que je côtoie, les morts que je pleure,
le temps qui passe, l'époque dont je suis le contemporain, l'histoire
qui se déroule, l'air que je respire, sont ceux du livre. J'entre dans
la lecture. Nacelle ou bathyscaphe, le réduit sans fenêtre où je
m'enferme autorise une immersion ou une ascension totales.
Nous descendons dans les profondeurs du livre, montons dans un ciel de
langue. Je confie à la voix le soin de me représenter tout entier. Les
mots écrits et lus me tiennent lieu de parfaite existence. Mais de ma
voix, lisant les mots d'un autre, ceux d'un mort lointain, dont la
chair est anéantie, mais dont le style, la beauté de ce style, fait
surgir un monde d'échos, de correspondances et de voix vivantes par
lesquelles je passe, parlant à mon tour, entrant dans ces voix, me
laissant aller à la rêverie, à l'opération précise d'une rêverie
continue, parallèle et libre, je sais que je parle, je sais que c'est
de moi qu'il s'agit, non pas dans le texte, bien sûr, mais dans la
diction de ces pages.
Alors d'autres voix encore se font entendre, dans la mienne ".
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