" Est-il, pour moi, lieu plus épargné, abri plus sûr, retraite plus
paisible, qu'un studio d'enregistrement ? Enfermé de toutes parts,
encapitonné, assis devant le seul micro, à voix haute - sans effort de
projection, dans le médium -, deux ou trois heures durant, je lis les
pages d'un livre.
Le monde est alors celui de ce livre. Le monde est dans le livre. Le
monde est le livre. Les vivants que je côtoie, les morts que je pleure,
le temps qui passe, l'époque dont je suis le contemporain, l'histoire
qui se déroule, l'air que je respire, sont ceux du livre. J'entre dans
la lecture. Nacelle ou bathyscaphe, le réduit sans fenêtre où je
m'enferme autorise une immersion ou une ascension totales.
Nous descendons dans les profondeurs du livre, montons dans un ciel de
langue. Je confie à la voix le soin de me représenter tout entier. Les
mots écrits et lus me tiennent lieu de parfaite existence. Mais de ma
voix, lisant les mots d'un autre, ceux d'un mort lointain, dont la
chair est anéantie, mais dont le style, la beauté de ce style, fait
surgir un monde d'échos, de correspondances et de voix vivantes par
lesquelles je passe, parlant à mon tour, entrant dans ces voix, me
laissant aller à la rêverie, à l'opération précise d'une rêverie
continue, parallèle et libre, je sais que je parle, je sais que c'est
de moi qu'il s'agit, non pas dans le texte, bien sûr, mais dans la
diction de ces pages.
Alors d'autres voix encore se font entendre, dans la mienne ".
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