Vasco, extrait :
[…] parfois en songeant à ce que serait « réellement » son île, il sentait se reformer en lui, lourd de cette expérience qui ne l'avait pas assagi, cet obscur pressentiment dont à son premier voyage il avait négligé l'avertissement.
Il puisait comme alors son exaltation dans ce refus. Mais un matin, quand de la mer assombrie, d'un ciel fuligineux aux nuages traînants il vit sortir « Nouhiva », il fallut bien se rendre à l'évidence — l'évidence sous les aspects de la plus démente fantasmagorie : ces aiguilles titanesques, ces trombes de lave crevant un écrasant fardeau de nuées semblaient en effet moins les bornes du monde que le seuil infernal de quelque drame eschyléen se jouant entre le ciel et la terre. Ce n'était que la première des îles : Ua-Pou.
Ils en longèrent d'autres de moins loin et, à mesure que la goélette s'en approchait, mille cris, frayant le léthargique silence, d'oiseaux de mer à la rencontre semblaient vouloir la détourner d'un cercle interdit. Les récifs de la côte étaient blanchis de fiente. Puis venaient des basaltes rubescents dont les cavernes à fleur de houle engloutissaient le flot et le revomissaient par leurs cheminées en d'aériennes fumées. Ailleurs, dressés comme des tours, des monolithes surplombaient le pourtour d'une baie sinueuse dont ils gardaient l'entrée de figures géantes. Et seuls des jeux de cétacés dans les parages, des fuites de troupeaux sauvages sur les pentes révélaient que ce décor appartenait à un règne vivant.
pp. 204-205
Le Mot de l'éditeur : Moravagine
Moravagine , dernier descendant d'une famille royale en exil , incarne la folie et le mal. Son confident raconte son histoire. Moravagine est le double diabolique de Cendrars, qui signait là, en 1926, un roman d'aventures et un poème épique.